vendredi 11 juin 2021

La prescription du harcèlement et de la discrimination



Arrêt sur le harcèlement moral Soc. 9 juin 2021 n° 19-21.931 Bull.

Arrêt sur la discrimination Soc. 31 mars 2021 n° 19-22.557 Bull.

Les prescriptions en droit du travail : art. L. 1471-1

Le droit commun : art. 2224 du code civil

La prescription particulière de la discrimination : article L. 1134-5 du CDT


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ANALYSE

M. le Président Sargos « en droit de la prescription la question capitale est moins la durée de celle-ci que son point de départ » (cf. Semaine sociale Lamy, 23 mars 2006, n° 1208 – propos repris au Rapport annuel 2008 p.114).

En droit pénal, il est ainsi jugé qu’en cas d’infraction complexe, d’infraction continue ou d’infraction continuée, la prescription ne court qu’à compter du dernier acte qui la constitue. 

En droit civil, il est également jugé « qu'à l'égard d'une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l'égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance » (Civ.1 11 février 2016, nº 14-28383, Bull. – Com. 18 mai 2017, nº 15-22235 – jurisprudence constante). 

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, en droit du travail, lorsque le salarié sollicite le rappel d’un élément de sa rémunération sur une période excédant désormais trois années, sa demande n’est pas irrecevable dans son intégralité, elle l’est seulement pour la période qui remonte au-delà des trois dernières années, mais il est parfaitement recevable à solliciter le rappel de rémunération  pour la période non prescrite. 

Il en va de même en matière de discrimination qui s’apparente – notamment pour la discrimination dans le déroulement de carrière – à une infraction continue. 

Si les faits constitutifs d’une discrimination sont révélés au salarié à un moment donné mais que cette discrimination perdure jusqu’à la fin de la relation de travail, le salarié n’est pas irrecevable à faire reconnaître la discrimination dans l’intégralité de sa demande, il l’est seulement pour une partie de la période passée qui est prescrite, non pour la période non prescrite.

La règle de l’article L 1134-5 du code du travail n’a vocation à s’appliquer et entraîner l’irrecevabilité pour cause de prescription de la demande du salarié que si les faits de discrimination portés à la connaissance du salarié ont cessé depuis.

Pour le formuler autrement, au mieux l’article L 1134-5 du code du travail interdirait au salarié de se prévaloir des faits antérieurs, mais le salarié peut toujours faire reconnaître la discrimination dont il a continué d’être victime jusqu’à la fin de la relation de travail. 

Par conséquent, pour déclarer irrecevable comme prescrite au regard de l’article L 1134-5 du code du travail la demande tendant à la reconnaissance d’une discrimination, le juge doit s’assurer que cette discrimination a cessé après le moment où elle a été portée à la connaissance du salarié.

En revanche, si le salarié soutient que les faits constitutifs de discrimination se sont poursuivis, le juge ne peut tirer prétexte de la prescription des faits antérieurs pour refuser d’examiner les faits postérieurs non prescrits. 


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“CONNAISSANCE” ou “RÉVÉLATION”

Les dispositions législatives du code civil et celles du code du travail en matière de prescription sont sensiblement les mêmes, à une différence près toutefois qui est cruciale. 

Selon l'article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».

Selon le premier alinéa de l’article L 1134-5 du code du travail, « l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination »

Alors que le code civil se contente d’une « connaissance » des faits, le code du travail exige une « révélation » des faits de discrimination.

Car, celle-ci est par nature opaque, dissimulée. 

Il reste à déterminer ce que recouvre la « révélation de la discrimination » et si cette révélation est équipollente à une simple information du salarié. 

Le Rapport Blessig a bien résumé ces difficultés : 

« Un salarié peut avoir connaissance de quelques éléments semblant indiquer qu'il est victime d'une discrimination. À quel moment saura-t-il qu'il dispose d'éléments suffisamment probants pour intenter une action en justice ? Dans ce cas, ne risque-t-il pas d'attendre - involontairement - pendant un délai qui pourra être supérieur à cinq ans depuis le moment où “il a connu ou aurait dû connaître” les faits prouvant la discrimination ? (...)

« La “révélation” n'est pas la simple connaissance de la discrimination par le salarié ; elle correspond au moment où il dispose des éléments de comparaison mettant en évidence la discrimination. Tant que le salarié ne dispose pas d'éléments probants, la discrimination ne peut pas être considérée comme révélée et, donc, le délai de prescription de l'action du salarié ne peut pas courir » (p.19 et p.21).

Et, dans son arrêt du 22 mars 2007 relatif à l’unicité d’instance, la Cour de cassation avait retenu que « le préjudice lié à une discrimination syndicale n'avait été exactement connu des salariées qu'à la suite de la communication par l'employeur des éléments de comparaison nécessaires » (Soc. 22 mars 2007, nº 05-45163). 



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La réparation du préjudice

Soc. 25 septembre 2019 n° 18-14.975 

Mais attendu qu'ayant constaté que la révélation de la discrimination datait de fin mars 2009 alors que la salariée avait saisi la juridiction prud'homale le 16 juillet 2012, la cour d'appel, faisant une exacte application de l'article L. 1134-5 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, en a déduit à bon droit que la salariée était recevable pour demander la réparation du préjudice subi sur toute la durée de la discrimination ; que le moyen n'est pas fondé ;

Soc. 25 mai 2018 n° 16-22.137 

Vu l'article L. 1134-5 du code du travail ;

Attendu que pour limiter à certaines sommes le montant de la condamnation de l'employeur à titre de dommages-intérêts en raison de la discrimination subie et au titre de la perte de chance d'avoir pu investir les sommes dues au titre de la Rémunération de la performance contractualisée des cadres (RPCC) et pour débouter le salarié de diverses demandes, l'arrêt retient qu'il y a lieu d'écarter les demandes de nature salariale antérieures au 26 février 2008, soit cinq ans avant la saisine de la juridiction prud'homale puisque le salarié n'a pas apporté la preuve d'une discrimination tout au long de sa carrière et ne peut sérieusement prétendre n'avoir pas eu avant février 2013 tous les éléments nécessaires pour apprécier son préjudice ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'en application de l'article L. 1134-5 du code du travail, les dommages-intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination pendant toute sa durée, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;