vendredi 29 octobre 2021

Le harcèlement moral managérial

 


 


Plan 

  1. Définition 

  2. Illustrations 

  3. Les solutions ?

  4. Preuve




  1. Définition

               

La cour régulatrice a reconnu le harcèlement moral managérial et elle juge que


“les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique peuvent caractériser un harcèlement moral si elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel” (Soc. 8 mars 2017 nº 15-24406 – Soc. 22 octobre 2014 nº 13-18862 Bull. nº 247 – Soc. 21 mai 2014 nº 13-16341 – Soc. 23 mars 2011 nº 08-45140 – Soc. 19 janvier 2011 nº 09-67463 – Soc. 27 octobre 2010 nº 09-42488 – Soc. 3 février 2010 nº 08-44107 – Soc. 10 novembre 2009 nº 07-45321 Bull. nº 247)



  1. Illustrations


Le harcèlement moral est ainsi caractérisé lorsque le supérieur hiérarchique 


  • “soumet les salariés à une pression continuelle, des reproches incessants, des ordres et contre-ordres dans l'intention de diviser l'équipe se traduisant, pour un salarié déterminé, par sa mise à l'écart, un mépris affiché à son égard, une absence de dialogue caractérisée par une communication par l'intermédiaire d'un tableau, et ayant entraîné un état très dépressif” (Soc. 10 novembre 2009 nº 07-45321


  • “par le comportement humiliant et insultant de l'employeur” (not. Soc. 7 juillet 2015 nº 13-26726


  • “par l'agressivité verbale que le supérieur hiérarchique manifestait à l'égard de ses subordonnées” (Soc. 11 juin 2014 nº 13-10149


  • “par un comportement agressif et dévalorisant se traduisant par des propos vulgaires et grossiers et l'instauration d'une mauvaise ambiance de travail” (Soc. 29 septembre 2011 nº 10-12722 Bull. nº 219)


  • “plusieurs salariés témoignaient, d'une part, de pressions en matière d'objectifs, imposées aux directeurs de projets, aux responsables de projets, aux chargés de terrain, aux superviseurs et aux téléconseillers par une organisation très hiérarchisée du directeur de site et qui se traduisaient par une surveillance des prestations décrite comme du "flicage" et, d'autre part, d'une analyse de leurs prestations qu'ils ressentaient comme une souffrance au travail” (Soc. 3 mars 2021 n° 19-24.232)




recherche de jurisprudence : "méthodes de gestion" harcèlement moral


https://ia-droit.fr/?q=%22m%C3%A9thodes%20de%20gestion%22%20harc%C3%A8lement%20moral&order=date_dec 


Soc. 3 mars 2021 n° 19-24.232 

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral, de sa demande de prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul, et de ses demandes de paiement des indemnités de rupture et de dommages-intérêts, et de le condamner à payer une somme à titre d'indemnité compensatrice de préavis, alors « que les juges doivent examiner les éléments invoqués par le salarié afin d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, y compris les documents médicaux, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; que le salarié a produit 

  • de nombreuses attestations,

  • auditions de salariés recueillies dans le cadre de plusieurs plaintes pénales 

  • et extraits de presse faisant état des méthodes de management générant une souffrance au travail, 

  • le témoignage de Mme Q... faisant état de la situation de l'exposant

  • des documents médicaux concernant l'arrêt de travail dont il a fait l'objet en septembre et octobre 2009, 

  • la tentative de suicide sur son lieu de travail le 16 octobre 2009, 

  • l'hospitalisation ainsi que l'arrêt de travail et le suivi psychologique dont il a fait l'objet suite à cette tentative de suicide, 

  • la reprise à temps partiel thérapeutique à compter du 14 décembre 2019, 

  • le certificat du docteur D..., psychiatre, précisant que le salarié était suivi régulièrement depuis son hospitalisation, qu'il avait besoin d'une reprise d'activité qui devait être à temps partiel et éviter les pressions psychologiques dans ce domaine, 

  • les constatations du médecin du travail qui a notamment mentionné dans le dossier médical la tentative de suicide sur le lieu de travail pour "ras le bol professionnel" et l'absence de reconnaissance par ses supérieurs, 

  • ainsi que le courrier du salarié du 4 janvier 2010 pour demander la reconnaissance de l'accident du travail, faisant état des brimades et pressions subies, rejoignant les nombreux témoignages des autres salariés ainsi que son propre témoignage ; 

que la cour d'appel, qui n'a pas examiné l'intégralité des éléments invoqués par le salarié afin d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, y compris les documents médicaux, permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement moral, a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1152-1 du code du travail et l'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction applicable :

5. Pour débouter le salarié de ses demandes au titre du harcèlement moral, la cour d'appel a retenu que les éléments apportés par ce dernier portaient sur des considérations trop générales concernant les méthodes de gestion du centre d'appel dirigé par la société et que les agissements de harcèlement moral collectif dénoncés ne s'étaient pas manifestés personnellement pour le salarié déterminé qui s'en prévalait.

6. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'elle avait relevé que plusieurs salariés témoignaient, d'une part, de pressions en matière d'objectifs, imposées aux directeurs de projets, aux responsables de projets, aux chargés de terrain, aux superviseurs et aux téléconseillers par une organisation très hiérarchisée du directeur de site et qui se traduisaient par une surveillance des prestations décrite comme du "flicage" et, d'autre part, d'une analyse de leurs prestations qu'ils ressentaient comme une souffrance au travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.


Soc. 8 juillet 2020 n° 18-26.385 

7. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral, l'arrêt, après avoir énoncé que le harcèlement moral n'est en soi, ni la pression, ni le surmenage, ni le conflit personnel ou non entre salariés, ni les contraintes de gestion ou le rappel à l'ordre voire le recadrage par un supérieur hiérarchique d'un salarié défaillant dans la mise en œuvre de ses fonctions, retient que les objectifs transmis en octobre 2014 l'ont été à la prise de poste de la responsable du salarié et que ce dernier ne démontre pas qu'ils ont intentionnellement été fixés de manière « inatteignables » pour le mettre en défaut par rapport aux années précédentes et à ses résultats provisoires de l'année 2014, en sorte que ce fait n'est pas établi. Puis, pour retenir que l'employeur démontre que les autres faits matériellement établis par le salarié étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, l'arrêt, s'agissant des mails reçus par le salarié de la part de sa responsable, énonce que le listing des mails reçus par M. G... de la part de Mme N... du 7 octobre 2014 au 4 décembre 2014 ne fait apparaître que trois mails le dimanche 19 octobre de 21 heures 42 à 22 heures 00, tous les autres mails de ces trois mois (au nombre de quatre-vingt-dix-huit) étant adressés la semaine, dont uniquement trente-quatre le soir après 19 heures 00 et que M. G... ne démontre pas qu'il lui était imposé de les consulter immédiatement et d'y répondre avant le lendemain surtout s'il travaillait de son bureau en région parisienne et non de chez lui comme il lui a été demandé.

8. En statuant ainsi, alors que le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur, la cour d'appel qui a, en outre, statué par des motifs impropres à établir, s'agissant de l'envoi des mails au salarié, que l'employeur justifiait ses agissements par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, a violé les textes susvisés.


Crim. 19 juin 2018 n° 17-82.649 

Vu les articles 222-33-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que, d'une part, selon le premier de ces textes, dans sa version applicable à la date des faits, constitue le délit de harcèlement moral le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel (...)

Attendu que, pour confirmer le jugement de relaxe, l'arrêt énonce que, si M. X... se montrait autoritaire dans la mesure où il claquait des doigts et criait, ce comportement, certes inadapté en termes de management du personnel, ne caractérise pas suffisamment des faits harcèlement moral, ces propos, gestes et attitudes étant tenus à l'égard de tout le personnel dans le contexte particulier du travail en cuisine ; que les juges relèvent que le prévenu n'a pas affecté Mme A... à d'autres tâches que celles relevant de son poste et que les propos dénoncés par la partie civile ("comment on peut engager des bons à rien comme cela" et "si vous ne savez pas porter, vous n'avez qu'à pas prendre des métiers d'homme"), bien que désobligeants, n'apparaissent pas avoir été prononcés à plusieurs reprises à l'égard de celle-ci ; qu'ils ajoutent qu'elle-même n'admettait pas les remarques faites sur son travail et pouvait avoir une attitude inadaptée en réponse aux réflexions de son supérieur hiérarchique ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que les comportements qu'elle décrivait excédaient, quelle qu'ait été la manière de servir de la partie civile, les limites du pouvoir de direction du prévenu, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;



III. - Quelles solutions ? 



➜ Alerter la hiérarchie

➜ Alerter l’inspection du travail 



IV. - La preuve


➜ devant les juridictions pénales 

pas de “loyauté” de la preuve pour les parties civiles

donc enregistrement de l’employeur à son insu recevable 


➜ devant les juridictions prud’homales 

principe de “loyauté de la preuve”

mais “droit à la preuve” permet de produire en justice une preuve obtenue de “manière déloyale”

https://youtu.be/V5DuAL_ueys 





jeudi 28 octobre 2021

La rechute d'un accident du travail ⚠️

 





Dans sa définition la plus large, il est retenu que « constitue une rechute toute modification dans l’état de la  victime, dont la première constatation médicale est postérieure à la date de la guérison apparente ou de la consolidation     de la blessure » (Civ.2 29 mai 2019 n° 18-13.495 au Bull. Civ.2 4 avril 2018 n° 17-16.017).



Cette définition ne fait que rappeler que la présomption d’imputabilité couvre toutes les lésions qui apparaissent jusqu’à la consolidation de l’état de santé de la victime : il ne peut donc y avoir de rechute tant que l’état de santé de la victime s’est préalablement pas stabilisé.



Si l’on tente à présent de préciser en quoi consiste cette « modification dans l’état de la victime », on peut retenir qu’il s’agit d’une « aggravation de l’état » de la victime qui correspond à « un fait nouveau dans son état séquellaire » (not. Civ.2 22 janvier 2015 n° 13-28.903 – déjà Soc. 11 avril 2002 n° 01-20.331 Soc. 15 mars 2001 n° 98-12.842 Soc. 12 novembre 1998 n° 97-10.140 Bull. n° 491 Soc. 18 juillet 1996 n° 94-21.823 Soc. 17 avril 1996 n° 94-17.362 Bull. n° 172 Soc. 11 janvier 1996 n° 94-10.116 Bull. n° 6 Soc. 2 mars 1995 n° 93-10.180 Soc. 13 janvier 1994 n° 91-12.247 Bull. n° 11).



Ce “fait nouveau” peut constituer soit une “nouvelle lésion”, soit “l’aggravation” d’une lésion qui était déjà apparue avant la consolidation de l’état de santé et qui avait été prise en charge lors de la reconnaissance de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle.



S’il s’agit d’une “nouvelle lésion” – qui ne correspond donc à aucune des lésions apparues lors de l’accident ou de la maladie – il doit être démontré qu’elle est la conséquence “directe et certaine” de l’accident du travail initial (not. Soc. 19 décembre 2002 n° 00-22.482, Bull. n° 401 Soc. 18 janvier 2001 n° 99-16.237 Soc. 19 novembre 1998 n° 97-11.698 Soc. 17 nov. 1944 : JCP 1946. II. 2957).



Mais cette preuve de l’imputabilité à l’accident initial n’est pas exigée lorsque l’on n’est qu’en présence d’une “aggravation d’une lésion” qui était déjà apparue lors de la survenance de l’accident ou de la maladie (Soc. 11 avril 2002 n° 01-20.331 Soc. 15 mars 2001 n° 98-12.842 Soc. 16 novembre 2000 n° 99-11.027).



Tout ceci relève de l’évidence : pour prendre un exemple, si l’accident a fait apparaître des lésions du canal carpien et que ces lésions ont été prises en charge par la caisse au titre de l’accident du travail, alors l’aggravation de ces mêmes lésions du canal carpien constituent nécessairement une rechute de cet accident.



Cela montre que la “guérison” n’était “qu’apparente” que la “consolidation” ne l’était pas réellement.



En revanche, si la lésion initiale concerne le canal carpien et que la rechute concerne une sciatique, on est alors en présence de lésions de nature différente et il incombe à la victime de rapporter la preuve du lien de causalité direct entre la sciatique et l’accident de travail initial, car l’existence de ce lien n’est pas évidente compte tenu de tout ce qui a pu se produire entre l’accident de travail initial et la rechute.



Pour résumer: en matière de rechute, la preuve de l’imputabilité à l’accident initial n’est pas exigée lorsque l’on n’est qu’en présence d’une “aggravation d’une lésion” qui était déjà apparue et prise en charge lors de la survenance de l’accident ou de la maladie, alors que, s’il s’agit d’une “nouvelle lésion” qui ne correspond à aucune des lésions apparues lors de l’accident ou de la maladie, la victime doit démontrer qu’elle est la conséquence “directe et certaine” de l’accident du travail initial.



A cette aune, la définition et le régime juridique de la rechute gagnent en précision et la sécurité juridique des victimes, des organismes sociaux et des employeurs s’accroît.



En outre, il faut tenir compte de l’étendue temporelle de la présomption d’imputabilité et de ses répercussions sur la caractérisation d’une rechute.



En effet, « la présomption d’imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d’un accident du travail s’étend pendant toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète soit la consolidation de l’état de la victime » (Civ.2 9 juillet 2020 n° 19-17.626 B Civ.2 15 février 2018 n° 17-11.231 Civ.2 15 février 2018 n° 16-27.903 Civ.2 4 mai 2016 n° 15-16.895 B Civ.2 6 novembre 2014 n° 13-23.414 Civ.2 10 juillet 2014 n° 13-20.323 Civ.2 28 mai 2014 n° 13-18.497 Civ.2 13 mars 2014 n° 13-16.314 Civ.2 13 février 2014 n° 13-11.190 Civ.2 17 janvier 2013 n° 11-26.311 Civ.2 21 juin 2012 n° 11-19.228 Civ.2 31 mai 2012 n° 11-19.518 Civ.2 10 mai 2012 n° 11-17.526 Civ.2 5 avril 2012 n° 10-27.912 Civ.2 1 juin 2011 n° 10-15.837 Civ.2 28 avril 2011 n° 10-15.835 Civ.2 17 février 2011 n° 10-14.981 B) :


Civ.2 9 juillet 2020 n° 19-17.626 B

« La présomption d’imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, dès lors qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d’accident du travail est assorti d’un arrêt de travail, s’étend à toute la durée d’incapacité de travail précédant la guérison complète »


Civ.2 4 mai 2016 n° 15-16.895 B

« Si la présomption d’imputabilité au travail s’attachant, en application de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, aux lésions survenues au temps et sur le lieu du travail s’étend aux soins et arrêts de travail prescrits ensuite à la victime jusqu’à la date de consolidation de son état de santé ou de sa guérison, elle ne fait pas obstacle à ce que l’employeur conteste devant la juridiction du contentieux général de la sécurité sociale l’imputabilité à l’accident ou à la maladie initialement reconnus de tout ou partie des soins et arrêts de travail pris en charge ultérieurement par l’organisme »



Or l’étendue de la présomption d’imputabilité retentit nécessairement sur la caractérisation de l’existence d’une rechute.



Si l’existence d’une rechute est constituée par l’aggravation des séquelles des lésions de l’accident initial, il s’ensuit que, pour déterminer l’existence d’une rechute, la juridiction de sécurité sociale ne doit donc pas s’en tenir aux lésions qui sont mentionnées sur le certificat médical initial, mais elle doit rechercher si la lésion déclarée comme rechute n’est pas l’aggravation de lésions apparues avant la consolidation de l’état de santé de la victime et qui ont été prises en charge au titre de la législation professionnelle.