Durant l'exécution du contrat de travail et a fortiori après sa rupture, c'est l'employeur qui détient la plupart des éléments de preuve, y compris ceux qui peuvent être utiles au salarié dans le cadre d'un procès pour qu'il puisse faire valoir ses droits (notamment en matière de rémunération par ex. Soc. 1 décembre 2016 pourvoi nº 15-50035).
Comment ?
Avant le procès qui oppose l'employeur au salarié, le salarié peut saisir le juge, sans en informer l'employeur, afin que le juge ordonne des mesures "in futurum" (pour le futur) qui peuvent être utiles dans le cadre de l'instance subséquente.
Sur quel fondement ?
L'article 145 du Code de procédure civile dispose :
S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Vu l'article 145 du code de procédure civile ; Attendu, selon l'arrêt attaqué statuant en référé, que Mme X... a été engagée le 17 mars 2014 suivant contrat à durée indéterminée en qualité de « sales manager » par la société Oki systèmes France qui l'a licenciée le 13 octobre 2014 pour insuffisance professionnelle ; que le 12 novembre 2014, elle a saisi le conseil de prud'hommes en référé, afin que soient ordonnées des mesures d'instruction en vue de la conservation de pièces ; que par ordonnance du 12 janvier 2015, le conseil de prud'hommes a fait droit à ses demandes ; Attendu que pour infirmer cette ordonnance et débouter la salariée de l'ensemble de ses demandes, l'arrêt retient que celles-ci tendent à l'obtention de pièces destinées à être produites dans l'instance au fond parallèlement engagée devant le conseil de prud'hommes saisi au principal ; qu'il en résulte que le procès ayant déjà été engagé et un juge en étant saisi, le juge des référés n'est plus compétent pour ordonner les mesures sollicitées ; Attendu cependant, que l'absence d'instance au fond, qui constitue une condition de recevabilité de la demande fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, s'apprécie à la date de saisine du juge ; Qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans constater que l'instance au fond avait été engagée avant l'instance en référé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
Question : peut-on prétendre que le silence gardé par le salarié durant l'exécution du contrat de travail, vaut acquiescement de sa part du comportement de l'employeur que le salarié ne pourrait lui reprocher ensuite dans le cadre d'une instance prud'homale ? La présentation vidéo :
Il est sidérant de constater la fréquence à laquelle cet argument est soulevé devant le juge et il est encore plus sidérant de voir que les juges s'y laisse berner. En matière de harcèlement moral par exemple, il est récurrent de lire dans les arrêts de cour d'appel que telle situation décrite par le salarié comme constitutive de harcèlement n'en est pas un puisque le salarié ne s'est jamais plaint auprès de son employeur de la situation qu'il fait désormais valoir - ce qui revient au même que d'affirmer que le silence gardé par le salarié durant la relation de travail est un acquiescement de sa part. Selon la jurisprudence, le silence ne vaut pas acceptation (Civ. 1 24 mai 2005 n° 02-15188 Bull. n° 223 – Civ. 25 mai 1870 Bull. n° 113).
Très précisément, la Cour de cassation retient que :
- « si le silence ne vaut pas à lui seul acceptation, il n'en est pas de même lorsque les circonstances permettent de donner à ce silence la signification d'une acceptation » (préc. Civ. 1 24 mai 2005 N° de pourvoi : 02-15188 Bull. n° 223)
- « le silence de celui que l'on prétend obligé ne peut suffire, en l'absence de toute autre circonstance, pour faire preuve contre lui de l'obligation alléguée » (préc. Civ. 25 mai 1870 Bull. n° 113)
Le principe est désormais reconnu à l'article 1120 du code civil - dans sa rédaction issue de l’Ordonnance du 10 février 2016 : "Le silence ne vaut pas acceptation, à moins qu'il n'en résulte autrement de la loi, des usages, des relations d'affaires ou de circonstances particulières." C’est en application de ce principe que, dans l’arrêt Raquin, la Cour de cassation décide que l’acceptation de la modification du contrat de travail ne peut résulter de la poursuite du travail et du silence gardé par le salarié (Soc. 8 octobre 1987 pourvoi n°84-41902 Bull. n° 541 - GADT 4e éd. 2008 Dalloz n° 49 - Dr. soc. 1988. 141, note Savatier – jurisprudence constante). D’ailleurs est constamment jugé que « le silence antérieur d’un salarié ne peut valoir renonciation à ses droits » (Soc. 11 juillet 2012 n° 11-15540 – Soc. 17 novembre 2010 n° 09-42104) ou encore « la renonciation à un droit ne se déduit pas du silence ou de l'absence de contestation de son titulaire » (Soc. 13 octobre 2011 n° 09-66991 – jurisprudence constante). Toujours en illustration de ce principe, il est acquis que l'acceptation sans protestation ni réserve d'un bulletin de paie par le travailleur ne peut valoir, de la part de celui-ci, renonciation au paiement de tout ou partie du salaire et des indemnités ou accessoires de salaire qui lui sont dus (article L3243-3 du code du travail). En somme, ce n’est pas parce que le salarié a subi en silence les manquements de son employeur à ses obligations, qu’il se trouve privé de pouvoir les faire reconnaître ensuite devant un juge.
Question : quelle est la définition juridique ou quels sont les critères retenus par la Cour de cassation pour déterminer si l'on est en présence d'un avertissement (la plus petite sanction qui peut être prononcée à l'encontre d'un salarié) ou si l'on est en présence d'une simple mise en garde, d'un recadrage ?
Voici le tutoriel vidéo de l'article :
Selon l'article L 1331-1 du code du travail, constitue une sanction disciplinaire « toute mesure autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par lui comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ».
Par un arrêt publié du 13 novembre 2001, la Cour de cassation a jugé que
« viole l'article L. 122-40 ancien / L. 1331-1 nouveau du Code du travail, la cour d'appel qui décide que le licenciement du salarié était fondé sur une cause réelle et sérieuse, alors que la lettre adressée par l'employeur au salarié postérieurement à l'entretien préalable et produite aux débats lui reprochait diverses erreurs et le mettait en demeure de faire un effort pour redresser la situation sous peine de déclassement ou de licenciement, ce dont il résultait que cette lettre sanctionnait un comportement fautif et constituait un avertissement, en sorte que les mêmes faits ne pouvaient plus justifier le licenciement » (Soc. 13 novembre 2001, nº 99-42709, Bull. nº 344).
La solution n’était pas nouvelle :
« en relevant que, dans sa lettre du 12 septembre 1988, l'employeur reprochait au salarié diverses erreurs et le mettait en demeure d'apporter un maximum de soins à la réalisation des travaux qui lui étaient confiés, la cour d'appel a justement décidé que cette lettre sanctionnait un comportement fautif et constituait un avertissement en sorte que les mêmes faits ne pouvaient plus justifier le licenciement » (Soc. 13 octobre 1993, nº 92-40955 – à rappr. de Soc. 13 novembre 1990, nº 87-42812, Bull. nº 545).
Elle est constamment réaffirmée depuis :
« ayant relevé que par courriel électronique du 4 octobre 2002, l'employeur reprochait à la salariée de ne pas rentrer ses commandes dans l'ordinateur et de ne pas tenir son agenda à jour, et lui enjoignait de procéder à cette opération, à l'instar de ses collègues, tous les vendredis soirs, la cour d'appel a pu décider que ce courrier sanctionnait un comportement fautif et constituait un avertissement ; ensuite, ayant constaté que les seuls faits invoqués dans la lettre de licenciement étaient ceux-là même qui avaient justifié l'avertissement du 4 octobre, elle en a exactement déduit qu'ils ne pouvaient être sanctionnés une seconde fois » (Soc. 8 novembre 2006, nº 05-41514).
« ayant constaté que le courrier du 6 juin 2002 et dans son courriel du 18 juin suivant, l'employeur avait adressé des reproches à la salariée, pour des faits qu'il estimait fautifs, la cour d'appel a pu en déduire que les mises en garde contenues dans ces documents constituaient des sanctions et que les mêmes faits ne pouvaient être une seconde fois sanctionnés » (Soc. 6 mars 2007, nº 05-43698 RJS 7/07 n° 842).
« après avoir relevé que, dans son message électronique du 26 juillet 2004, l'employeur adressait divers reproches à la salariée et l'invitait de façon impérative à un changement radical, avec mise au point ultérieure au mois d'août, la cour d'appel a justement décidé que cette lettre sanctionnait un comportement fautif et constituait un avertissement, en sorte que les mêmes faits ne pouvaient plus justifier le licenciement » (Soc. 26 mai 2010, nº 08-42893).
Encore récemment, la cour régulatrice rejette un moyen qui faisait notamment valoir dans sa première branche
« 1°/ que ne constitue pas une sanction disciplinaire la lettre par laquelle l'employeur se borne à informer le salarié de sa déception eu égard à son comportement, sans impliquer de volonté réelle de lui notifier une sanction ; qu'en l'espèce où dans sa lettre adressée le 4 novembre 2010 à M. X... l'employeur, exposant « qu'après contrôle de la copie des frais que [son] comptable lui [avait] remise », il s'avérait que « 90 % » des « exagérations » étaient les siennes, se bornait à l'informer que « la confiance [qu'il] avait placée en [lui] était largement entamée », ce qui n'impliquait, de la part de l'employeur, aucune volonté établie de lui notifier une sanction, la cour d'appel, en énonçant, pour considérer que les faits invoqués au soutien du licenciement pour faute grave de M. X... avaient déjà été sanctionnés et juger en conséquence son licenciement illégitime, que ce courrier adressé personnellement à M. X... le 4 novembre 2010 devait s'analyser en un avertissement, a violé l'article L. 1331-2 du code du travail ; »
Le rejet intervient car :
« Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté que l'employeur, après avoir modifié, de façon générale, le mode d'indemnisation des frais de bouche de l'ensemble d'une catégorie de salariés au vu de comportements abusifs de certains d'entre eux, a adressé, notamment au salarié, une lettre lui indiquant que son attitude avait largement entamé la confiance qu'il lui portait ; qu'elle en a exactement déduit que cette lettre constituait une sanction disciplinaire, dès lors qu'il résultait de cette dernière indication qu'elle était de nature à affecter la carrière du salarié ; que le moyen n'est pas fondé » (Soc. 3 février 2017, nº 15-11433)
Néanmoins, par d’autres arrêts, certes non publiés, la Cour de cassation admet l’existence de « mises en demeure » de « mises en garde » ou de « recadrages » qui ne constituent pas pour autant des sanctions (not. Soc. 13 janvier 2016, nº 14-12259 - Soc. 24 septembre 2015, nº 14-15656 - Soc. 29 janvier 2013, nº 11-23774 - Soc. 29 mars 2012, nº 11-11928 - Soc. 29 février 2012, nº 11-10605 - Soc. 11 janvier 2012, nº 10-14153 - Soc. 26 octobre 2011, nº 09-43181 - Soc. 27 septembre 2011, nº 10-18747 - Soc. 27 septembre 2011, nº 10-20915 - Soc. 21 septembre 2011, nº 10-24470 - Soc. 5 juillet 2011, nº 10-19561).
En conclusion, c'est par une appréciation au cas par cas, en fonction de la teneur de la lettre écrite par l'employeur que les juges déterminent si l'on est en présence d'un avertissement ou au contraire s'il ne s'agit que d'une mise en demeure.