mardi 23 janvier 2018

Procédure civile : le moyen relevé d'office et le respect du contradictoire



Question : à quelle condition un juge peut relever d'office un moyen qui n'a été évoqué par aucune des parties dans leurs conclusions respectives ? En matière de procédure orale - lorsqu'il n'est donc pas nécessaire de déposer des conclusions - les conditions pour relever d'office un moyen sont-elles différentes ?

Selon, l'article 16 du code de procédure civile, fréquemment rappelé par la Cour de cassation, « le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations » (not. Soc. 25 octobre 2017, nº 16-24188 – Soc. 25 octobre 2017, nº 16-14138 – Soc. 4 octobre 2017, nº 16-13066 – Soc. 20 septembre 2017, nº 16-15511 – Soc. 20 septembre 2017, nº 16-15512 – Soc. 20 avril 2017, nº 15-22239 – Soc. 15 mars 2017, nº 15-22911 – Soc. 15 mars 2017, nº 15-19774 – Soc. 9 mars 2017, nº 15-14415 – Soc. 22 septembre 2016, nº 14-23732).

Dans sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation avait pour habitude de considérer « qu'en matière de procédure orale sans représentation obligatoire, les moyens soulevés d'office par le juge sont présumés, sauf preuve contraire non rapportée en l'espèce, avoir été débattus contradictoirement à l'audience » (not. Civ.2 10 juillet 2008, nº 07-13027, Bull. nº 180 – Soc. 26 mai 2004, nº 02-60935, Bull. nº 142 – Soc. 14 mai 1987, nº 83-46073, Bull. nº 332 – Soc. 7 juillet 1986, nº 83-41808, Bull. nº 358).

Compte tenu de cette jurisprudence, il était donc quasiment impossible d'apporter la preuve contraire et combattre cette présomption.

Désormais, pour apprécier si un moyen a été relevé d'office, la Cour de cassation considère qu'il convient de se référer « aux propres énonciations de l'arrêt » pour déterminer « si les moyens oralement présentés à l'audience étaient ceux développés par les parties dans leurs écritures » car, dans ce cas, tout moyen figurant dans la décision de justice qui n'aurait été soulevé par les parties dans leurs écritures est considéré comme ayant été relevé d'office et nécessitant une réouverture préalable des débats :
« Qu'en statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses propres énonciations que les moyens oralement présentés à l'audience étaient ceux développés par les parties dans leurs écritures et que, dans celles-ci, le salarié ne se prévalait pas d'un engagement de l'employeur portant sur une compensation de la perte de rémunération consécutive à la suppression d'astreintes, la cour d'appel, qui a retenu l'existence d'un tel engagement sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce point, a violé le texte susvisé » (Soc. 4 octobre 2017, nº 16-13066)
« Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle énonçait que les parties avaient repris et développé oralement à l'audience leurs écritures, et que celles-ci ne comportent aucun moyen selon lequel les demandes de la société à l'encontre de la salariée pour faits de concurrence déloyale seraient irrecevables, ce dont il résulte qu'elle a soulevé ce moyen d'office sans avoir recueilli préalablement les observations des parties, la cour d'appel a violé le texte susvisé » (Soc. 20 septembre 2017, nº 16-15511)
« Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle énonçait que les parties avaient repris et développé oralement à l'audience leurs écritures, et que celles-ci ne comportent aucun moyen selon lequel les demandes de la société à l'encontre de la salariée pour faits de concurrence déloyale seraient irrecevables, ce dont il résulte qu'elle a soulevé ce moyen d'office sans avoir recueilli préalablement les observations des parties, la cour d'appel a violé le texte susvisé » (Soc. 20 septembre 2017, nº 16-15512)
« que si, lorsque la procédure est orale, les moyens soulevés d'office sont présumés avoir été débattus contradictoirement à l'audience, il peut être apporté la preuve contraire ; Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'elle énonçait qu'elle renvoyait pour l'exposé du détail de l'argumentation des parties aux écrits déposés et soutenus par elles à l'audience, et qu'il résultait de ces écrits que les parties n'avaient pas invoqué le moyen tiré de ce que le salarié ne justifiait pas avoir demandé la liquidation de ses droits à pension de vieillesse à l'occasion de son départ du cabinet d'expertise comptable, la cour d'appel, qui a soulevé ce moyen sans avoir préalablement sollicité les observations des parties, a violé le texte susvisé » (Soc. 20 avril 2017, nº 15-22239)

En somme, la procédure orale ne requière pas que l'on dépose des écritures devant le juge, mais cette précaution permet d'éviter les surprises puisque, si le juge considère que les observations orales faites à la barre du tribunal ne font que reprendre les conclusions écrites, il est alors plus facile d'identifier si le juge à relever d'office un moyen et s'il le fait, il doit prendre la précaution préalable de rouvrir les débats et solliciter les observations des parties, faute de quoi sa décision est censurée par la Cour de cassation.