mardi 12 décembre 2017

Procédure civile : la concentration des moyens OUI - la concentration des demandes NON


La problématique :

Selon l'article 1355 du code civil (1351 ancien) : "L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité".

En somme, on ne peut intenter successivement deux fois une action en justice pour réclamer la même chose - mais pour qu'il y ait autorité de la chose précédemment jugée, il faut une triple identité de parties, d'objet et de cause - la cause étant entendue comme le fondement juridique, la règle de droit qui est invoquée à l'appui de l'objet de la demande.

Par exemple, un salarié réclame le paiement d'une certaine somme parce qu'il a effectué des heures supplémentaires : l'objet de la demande c'est le paiement de la somme d'argent, la cause de la demande c'est l'article L3171-4 du code du travail qui est relatifs aux heures supplémentaires.

Dans son arrêt Césaréo et constamment depuis, la Cour de cassation juge que « le défendeur doit présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à justifier son rejet total ou partiel » (not. illustrations récentes, Com. 13 septembre 2017, nº 15-28833, Bull. en cours – Civ.3 13 juillet 2017, nº 16-17782 – Civ.1 5 juillet 2017, nº 16-20233 – Civ.1 22 juin 2017, nº 16-11029 – Com. 29 mars 2017, nº 15-21861 – Civ.1 12 mai 2016, nº 15-13435, Bull. en cours – Com. 26 janvier 2016, nº 12-21285).

C'est le principe de concentration des moyens, les moyens étant entendus comme la cause de la demande.

Cette solution a été critiquée : si le litigant a oublié d'invoquer un fondement juridique qui lui aurait permis d'obtenir gain de cause dans le cadre de la première instance, il ne peut plus le faire dans le cadre d'une instance ultérieure, car on lui oppose l'autorité de la chose préalablement jugée - mais justement rien à été jugé puisque cette règle de droit n'avait pas été invoqué lors de la précédente instance. Il est donc paradoxale de dire qu'il y a autorité de la chose jugée lorsque précisément rien n'a été jugé - mais la règle évite que les contentieux se multiplient et s'éternisent.

La Cour de cassation a néanmoins précisé par une solution qui est non moins constante que « s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits » (cf. illustrations récentes Civ.2 19 octobre 2017, nº 16-24372 – Soc. 5 juillet 2017, nº 16-12632 – Civ.1 22 juin 2017, nº 16-22250 – Civ.2 22 juin 2017, nº 16-15566 – Com. 8 mars 2017, nº 15-20392 – Civ.1 7 décembre 2016, nº 16-12216, Bull. en cours – Civ.1 30 novembre 2016, nº 15-20043 – Civ.1 12 mai 2016, nº 15-16743, Bull. en cours).

En somme, s’il existe un principe de concentration des moyens, il n’existe pas de principe de concentration des demandes.

Il convient de revenir sur trois illustrations jurisprudentielles récentes de l’absence de concentration des demandes.

Dans le premier cas, la Cour de cassation a jugé que la demande de condamnation de l'employeur à des dommages-intérêts en raison de l’inopposabilité d’un accord d'entreprise et la demande de condamnation de l'employeur à des dommages-intérêts en raison de la déloyauté de l'employeur dans la conclusion de ce même accord d'entreprise sont des demandes qui porte sur les mêmes faits – la conclusion de l’accord d'entreprise – mais qui n’ont pas le même objet, de sorte que ces deux demandes peuvent faire l’objet de deux instances successives (Soc. 5 juillet 2017, nº 16-12632).

Dans le deuxième cas, la cour régulatrice a retenu qu’une cour d'appel avait prononcé l’annulation d’une vente en viager et qu’au titre des restitutions subséquentes, elle avait condamné l’acheteur en restitution de la quote-part du prix et les arrérages de rente payés et condamné l’acheteur à restituer les loyers perçus depuis la conclusion de la vente ; que néanmoins, l’acheteur pouvait intenter une nouvelle action afin d’obtenir la restitution des primes d'assurances, de taxes foncières et de maintenance qu’il avait engagé car – même s’il s’agissait d’une demande de restitution qui se fondait sur le même fait que constituait l’annulation du contrat de vente – il n’en demeurait pas moins qu’au terme de la première instance, aucune demande en paiement ou restitution de somme au titre des dépenses relatives à l'immeuble ou des plus-values n’avait été formulée, de sorte que cette nouvelle demande n’avait pas le même objet que les précédentes (Civ.2 16 mars 2017, nº 16-15426).

Dans le troisième cas, dans le cadre d’une première instance, un cocontractant obtient la reconnaissance de la responsabilité de son cocontractant dans l’éviction de l’exploitation de certaines lignes de transport, mais « cette instance n'incluait pas l'examen de l'ensemble des relations contractuelles issues de l'accord, … ni celui de l'exécution, fût-elle partielle, de cet accord » de sorte que la requête en demande de désignation d'un expert-comptable pour établir les comptes entre les cocontractants et déterminer, dans le cadre de l'exécution partielle du contrat, si des factures demeuraient impayées, constitue une « demande qui, si elle était fondée sur le même contrat, n'avait pas le même objet que l'action en responsabilité » (Com. 8 mars 2017, nº 15-20392).

Comme on le voit, la détermination de l’objet de la demande ne se limite pas à considérer que les demandes découlent d’un même contrat, d’un même accord d'entreprise, ou qu’il s’agit de restitutions postérieures à l’annulation d’un acte juridique.

Cette appréciation abstraite de l’objet de la demande n’est pas suffisant : selon la Cour de cassation, il faut déterminer précisément ce qui était demandé au titre de ce contrat, au titre des restitutions, à quel titre la responsabilité contractuelle était recherchée pour le comparer ensuite à ce qui est désormais demander.

Conclusion : la règle de l'absence de concentration des demandes est importante à connaître si l'on vous oppose le principe de la concentration des moyens. Certes on ne peut pas demander la même chose juste - en changeant de fondement juridique - mais on peut successivement demander des choses différentes, sans que l'on puisse vous opposer l'autorité de la chose préalablement jugée.