samedi 29 mai 2021

L’autorité de la chose décidée par les organismes sociaux et la non rétroactivité de leurs décisions


                

Les décisions prises par les organismes sociaux sont soumises au principe de l’autorité de la chose décidée et au principe de non rétroactivité qui en découle.


La Cour de cassation se réfère directement, dans ses visas ou ses conclusifs, au « principe de l’autorité de la chose décidée » (not. Soc., 13 janvier 1977, n° 76-10.607, Bull. n° 32).


Ce principe est opposable à l’assuré social :


– « quel que soit le bien ou le mal fondé » des décisions d’affiliation ou de radiation, l’autorité de la chose décidée qui s’y attache, fait notamment obstacle à ce que l’assuré social puisse utilement les contester au stade des redressements pratiqués par l’organisme de recouvrement (not. Soc., 12 mars 1992, n° 89-16.092 et Soc., 11 février 1993, n° 88-18.825).


– de même, « la décision individuelle d’affiliation, devenue définitive, qu’elle fût fondée ou non, et que l’assuré eût perçu ou non de ce régime des prestations d’assurance maladie, ne pouvait être mise à néant rétroactivement et s’oppose à la demande de remboursement des cotisations versées à ce titre » (Civ. 2, 28 novembre 2013, n° 12-26.292).


Le principe est également opposable aux organismes sociaux : « quels qu’aient pu être les motifs, fussent-ils erronés, qui l’avaient provoquée, l’autorité qui s’attache à la chose décidée sans fraude s’oppose à ce que soit reconnu un effet rétroactif à la décision qui la modifie » (Soc., 13 mai 1976, n° 75-10.495, Bull. n° 279), seule « la fraude » permet à l’organisme de recouvrement et au juge d’écarter l’autorité de la chose précédemment décidée (Soc., 27 novembre 1975, n° 74-12.181, Bull. n° 576).


De l’autorité de la chose décidée découle, comme corollaire, le principe de non rétroactivité, synthétisé dans un arrêt publié du 26 février 1981 : « le régime de protection sociale est d’ordre public, son application ou sa régularisation peuvent être effectuées à tout moment sous la réserve que, en cas de changement d’interprétation, les décisions prises à son sujet ne soient pas rétroactives » (Soc., 26 février 1981, n° 80-10.566, au Bull.).


Ainsi, compte tenu de l’autorité de la chose décidée dont elle est revêtue, la décision de reconnaissance de l’origine professionnelle de l’accident ne saurait être remise en cause par une décision ultérieure prise dans le cadre d’une rechute de cet accident (not. Soc., 15 novembre 1990, n° 89-10.619, Bull. n° 565).


De même, l’annulation pour excès de pouvoir d’un arrêt ministériel, sur le fondement duquel un organisme social a pris une décision, ne saurait remettre en cause cette décision en raison de l’autorité de la chose décidée qui y est attachée (not. Soc., 8 février 1973, n° 71-12.969, Bull. n° 71).


L’illustration la plus topique du principe de l’autorité de la chose décidée, conjugué à celui de non rétroactivité, est la solution par laquelle la Cour de cassation retient que la première décision administrative individuelle d’affiliation s’oppose, « quel que soit son bien ou mal fondé » à ce que l’immatriculation ultérieure à un autre régime puisse mettre « rétroactivement à néant les droits et obligations nés de l’affiliation antérieure » (not. Soc., 24 mai 2018, n° 16-19.896 – Civ. 2, 17 décembre 2015, n° 14-25.906, Bull. n° 841 – Civ. 2, 26 novembre 2015, n° 14-24.615, Bull. n° 840 – Soc., 22 septembre 2015, n° 13-28.065 – Civ. 2, 28 novembre 2013, n° 12-26.292 – Soc., 31 janvier 2012, n° 10-26.513 – Soc., 13 octobre 2011, n° 10-13.710 – Soc., 15 novembre 2001, n° 00-12.031 – Soc., 11 octobre 2001, n° 00-10.802, Bull. n° 318 – Soc., 9 avril 1998, n° 96-18.706, Bull. n° 209 – Soc., 2 avril 1998, n° 95-13.851 – Soc., 27 octobre 1993, n° 90-42.620 – Soc., 27 février 1992, n° 89-20.538, Bull. n° 141 – Soc., 30 janvier 1992, n° 89-14.528 – Soc., 28 février 1991, n° 88-12.436, Bull. n° 109 – Soc., 1 mars 1990, n° 87-15.176 – Soc., 1 février 1990, n° 87-15.176 – Soc., 14 juin 1989, n° 86-16.750, Bull. n° 449 – Soc., 16 novembre 1988, n° 86-12.345, Bull. n° 601).


En somme, même lorsqu’elle procède de « motifs erronés », même lorsqu’elle est « mal fondée », la décision régulièrement prise par un organisme social s’impose à celui-ci comme à l’assuré social ; une décision ultérieure de l’organisme social ne saurait rétroactivement remettre en cause cette décision initiale, alors même qu’elle résulterait d’une erreur avérée.


Si, dans les autres branches du droit, l’erreur n’est pas créatrice de droit et peut être corrigée (not. Soc., 24 septembre 2014, n° 13-16.562 – Soc., 2 juin 2004, n° 02-40.104 – Civ. 3, 21 février 1995, n° 93-13.162), en droit de la sécurité sociale – compte tenu du principe de l’autorité de la chose décidée et du principe de non rétroactivité – une décision erronée et mal fondée est créatrice de droit et s’impose à l’organisme social comme à l’assuré social.