lundi 18 décembre 2017

Droit du travail : la contre-visite organisée par l'employeur lors de l'arrêt maladie d'un salarié

Question : à quelle condition l'employeur peut organiser une contre-visite au domicile du salarié pendant son arrêt maladie ? Quelles sont les conséquences de cette contre-visite ?


I. - Pourquoi la contre-visite ?

Dans les conditions prévues par l'article L1226-1 du code du travail, l'employeur verse au salarié des prestations complémentaires de maladie qui s’ajoutent aux indemnités journalières de la sécurité sociale, afin d’assurer au salarié une garantie de ressources mais, en contrepartie du versement des prestations complémentaires, l'employeur a le droit de diligenter une contre-visite médicale afin de s’assurer que l’arrêt de travail est justifié et que l’état de santé du salarié ne lui permet pas de reprendre son travail (Soc. 9 décembre 1992, nº 89-42547 – Soc. 15 octobre 1987 nº 85-40555, Bull. nº 572 – Soc. 22 juillet 1986 nº 84-41588, Bull. nº 463 – Soc. 5 octobre 1983 n° 81-40204 Bull. n° 475 – Soc. 25 mars 1982 n° 80-40588 Bull. n° 226 – Soc. 17 février 1982 n° 80-40303 Bull. n° 100 – Soc. 28 avril 1981 n° 79-41806 Bull. n° 344).

Ainsi, selon la jurisprudence, « la contre-visite est une condition du versement des prestations complémentaires de maladie » (Soc. 31 janvier 1995, nº 91-42972).

Si le salarié refuse de manière injustifiée la contre-visite ou si celle-ci ne peut avoir lieu en raison d’une absence injustifiée du salarié, l'employeur est en droit de refuser le paiement des prestations complémentaires maladie (not. Soc. 13 mai 1992, nº 88-44963, Bull. nº 300 et les arrêts déjà cités).

Mais il ne suffit pas au juge de constater si la contre-expertise a ou n’a pas pu avoir lieu pour déterminer si l'employeur est ou n’est pas libéré de son obligation de verser au salarié les prestations complémentaire de maladie.

Il a ainsi toujours été admis que l'employeur reste tenu de verser les prestations complémentaires de maladie – alors même que la contre-visite n’a pas eu lieu – parce que l’absence du salarié est justifiée par la circonstance qu’il se trouvait au même moment chez son médecin traitant (Soc. 14 décembre 2011, nº 10-16043 – Soc. 5 décembre 1990, nº 87-41375, Bull. nº 617 – Soc. 4 juillet 1990, nº 88-40706, Bull. nº 346).

Il a également été admis que le salarié peut refuser la contre-visite, parce que l’examen que le médecin aurait à pratiquer se révélerait particulièrement douloureux et que la consultation du dossier médical et des comptes rendus opératoires suffit à l’appréciation de l’état de santé du salarié et en conséquence de la justification de l’arrêt de travail (Soc. 13 février 1996, nº 92-40713, Bull. nº 51 – à rappr. Soc. 20 décembre 1990, nº 88-45270).

Car, au risque de le répéter, la contre-visite a pour objet de vérifier si l’arrêt maladie est médicalement justifié : elle a donc pour finalité de permettre à l'employeur de déterminer l’état de santé du salarié et sa capacité à reprendre son travail.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, lorsque le médecin conseil effectue sa contre-visite et qu’il estime que le salarié est apte à reprendre son travail, l'employeur se trouve corrélativement libéré du paiement des prestations complémentaires de maladie (solution constante not. Soc. 15 septembre 2010, nº 09-41526 – Soc. 14 juin 1995, nº 91-44831).

Et ceci confirme qu’il ne suffit pas au juge de constater si la contre-expertise a ou n’a pas pu avoir lieu pour déterminer si l'employeur est ou n’est pas libéré de son obligation de verser au salarié les prestations complémentaire de maladie.

En somme, la jurisprudence précitée de la Cour de cassation met en évidence que, nonobstant l’avis médical du médecin traitant du salarié qui a prescrit l’arrêt de travail, l'employeur peut, grâce à la contre-visite, obtenir un autre avis médical sur l’état de santé du salarié et sur sa capacité à reprendre son travail.

Corrélativement – et c’est notamment l’apport de l’arrêt publié du 13 février 1996 (préc. nº 92-40713, Bull. nº 51) – le salarié peut prouver que, nonobstant son refus de la contre-visite médicale, son état de santé tel qu’il est établi par son dossier médical et les comptes rendus opératoires, ne permettait pas la reprise du travail, de sorte que l'employeur demeure débiteur des prestations complémentaires de maladie : dans cette espèce, les juges du fond avaient analysé les éléments de preuve produits par le salarié et avaient décidé d’accueillir sa demande.


II. - Comment se répartit la charge de la preuve ?

Selon l’ancien article 1315 devenu 1353 du code civil,
« Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ».
Comme il a été rappelé, la contre-visite est une condition du versement des prestations complémentaires de maladie car elle a pour objet et pour finalité de permettre à l'employeur d’évaluer l’état de santé du salarié et sa capacité à reprendre le travail.

La répartition du fardeau probatoire concernant le versement des prestations complémentaires de maladie s’opère donc de la manière suivante.

Pour l'employeur qui se prétend libéré du paiement de ces prestations complémentaires de maladie, les branches de l’alternative sont les suivantes :
  • soit il prouve que la contre-visite n’a pas pu avoir lieu en raison de l’absence ou du refus injustifiés du salarié (préc. supra not. Soc. 9 décembre 1992, nº 89-42547 – Soc. 15 octobre 1987 nº 85-40555, Bull. nº 572 – Soc. 22 juillet 1986 nº 84-41588, Bull. nº 463),
  • soit il prouve, lorsque la contre-visite a lieu, que le médecin conseil estime le salarié apte à la reprise de son travail (préc. supra not. Soc. 15 septembre 2010, nº 09-41526 – Soc. 14 juin 1995, nº 91-44831).

Pour le salarié qui se prétend créancier des prestations complémentaires de maladie, les branches de l’alternative sont les suivantes :
  • soit il prouve que son absence ou son refus de la contre-visite étaient justifiés (préc. supra not. Soc. 14 décembre 2011, nº 10-16043 – Soc. 5 décembre 1990, nº 87-41375, Bull. nº 617 – Soc. 4 juillet 1990, nº 88-40706, Bull. nº 346),
  • soit il prouve que l’arrêt maladie est justifié par son état de santé qui ne lui permet pas de reprendre son travail et qu’en conséquence la contre-visite n’avait aucun intérêt médical (préc. supra not.  Soc. 13 février 1996, nº 92-40713, Bull. nº 51).
Mais une chose est sûre, on ne saurait offrir à l'employeur la possibilité d’établir qu’il s’est libéré de son obligation au versement des prestations complémentaires de maladie sans offrir également au salarié la possibilité de prouver l’existence de sa créance.


Conclusion

1. 
  • La contre-visite n’est qu’une condition du versement des prestations complémentaires de maladie.
  • Le salarié peut justifier que, nonobstant l’absence ou le refus de la contre-visite, l’arrêt de travail est médicalement justifié, que son état de santé ne permettait pas une reprise du travail et que l'employeur demeurait donc débiteur des indemnités complémentaires maladie
2. 
  • La contre-visite est une condition du versement des prestations complémentaires de maladie car elle a pour objet et pour finalité de permettre à l'employeur d’évaluer l’état de santé du salarié et sa capacité à reprendre le travail.
  • En conséquence, il incombe à l'employeur qui se prétend libéré du paiement de ces prestations complémentaires de maladie, soit de prouver que la contre-visite n’a pas pu avoir lieu en raison de l’absence ou du refus injustifiés du salarié, soit de prouver, lorsque la contre-visite a lieu, que le médecin conseil estime le salarié apte à la reprise de son travail
  • Réciproquement, il incombe au salarié, créancier des prestations complémentaires de maladie, d’apporter la preuve soit que son absence ou son refus de la contre-visite étaient justifiés, soit que l’arrêt maladie est justifié par son état de santé qui ne lui permet pas de reprendre son travail et qu’en conséquence la contre-visite n’avait aucun intérêt médical.